Sur scène

Il me fallait revenir sur le devant de la scène. Toute cette exaltation me manquait, toute la vénération de mes fans me faisait cruellement défaut. Je devais travailler à un nouveau projet, trouver la veine propice où planter l'aiguille de l'inspiration, faire couler en celle-ci les bribes de mes souvenirs, de mes envies refouler, de ces paroles jamais énoncées, mais j'étais sacrément rouillé, complètement oublié.

Je me suis dit, vite fait, comme ça, que je n'avais qu'à simplement regoutter aux fruits défendus, ceux qui me permettaient de voir plus loin plus haut plus fort, de ressentir à nouveau ce que renfermait ma carcasse fatiguée, à palper à nouveau l'indicible doigt de Dieu penché sur ma petite et misérable personne, mais à peine coulait en ma gorge un de ces fruits à la saveur si amère que mes entrailles réagissaient avec violence, que ma morale objectait que je n'étais rien d'autre qu'un imposteur impotent incapable de briller par ma seule volonté.

Je me sentais mal, mal d'avoir triché, mal d'avoir envie d'exister à nouveau à travers le regard des autres, ceux-là même que, lors de mondanités aussi creuse que mon espoir, je qualifiais d'insignifiant. J'étais une putain de grande d’œil, je m'enorgueillissais de me foutre de leur avis, de leur jugement, de leur amour, alors qu'au fond de moi je savais ne vivre que pour leurs acclamations, leur amour déformé par le prisme de ma célébrité.

M'avaient-ils oublié ? Les ventes tendaient à le prouver, mais faut-il toujours s'en tenir aux chiffres ? Après tout, ne sommes-nous donc pas capables de leur faire dire ce que nous voulons ? Peut-être devrais-je m'en servir, de ces chiffres, pour dire à nouveau ce qui se passe en moi, utiliser les mathématiques, l'algèbre arithmétiquement responsable de mon état ? J'avais toujours été un littéraire, le monde obscur du raisonnement scientifique m'avait toujours laissé de marbre. Alors que faire ?

Je tournais et retournais ces questions sans fin, attendant une illumination quelconque, un apaisement, une colère, un truc quoi qui me sortirait de cette mélancolie sans âge. Je devais, il me fallait absolument retourner sur le devant de la scène. Mais comment s'y prendre quand nous sommes déjà mort ?