Là ou ailleurs

Je dis ça, mais ma vie me va bien. Elle se déroule sans accrocs, sans heurts. Je bosse la semaine, j'ai des horaires qui m'empêchent d'être chez moi en journée. Quand je rentre, il est l'heure du diner. Je me prépare un sandwich, un burger, un paquet de chips et je mange ça devant la télé. J'aime bien quand elle diffuse des documentaires sur des voyages. J'envie ceux qui sont capables de partir comme ça, du jour au lendemain, de laisser derrière eux une vie qui ne leur convient plus tout à fait. J'aimerais moi aussi mettre les bouts, voir du pays. Il paraît que ça forme la jeunesse les voyages. Si je devais choisir une destination, comme ça, vite fait, je dirais l'Australie. Parce que c'est loin d'ici, parce qu'il y a un désert, parce que là-bas je trouverai peut-être un autre moi-même. Je partirai sans bagage, enfin avec pas grand-chose, histoire de recommencer à zéro cette existence peu glamour.

• Hein ? Qu'est-ce que tu dis ? Je dis à Adèle, qui vient rompre mes pensées.

• Je te demandais si tu voulais rester ici ou aller faire un tour ?

• Euh... J'en sais rien. Tu connais le coin, toi ?

• Oui, un peu, dit-elle en souriant, j'habite à deux rues d'ici.

• Ok, je veux bien, mais pas longtemps alors parce que faut que je retrouve le mec qui m'a amené ici, il sait où est garée ma voiture et sans lui je ne peux pas rentrer chez moi.

• D'accord on part juste dix minutes histoire de prendre l'air.

Elle sourit en disant cela. Et quel sourire. Je serai prêt à tout pour ce sourire, ou à presque tout. Elle a des lèvres fines, de jolies dents, et une petite fossette qui apparaît. Elle plisse les yeux quand elle sourit, ce qui lui donne un petit air malicieux. Je crois bien que mon armure se fend à coup de sourires. Merde ! Je n'ai pas envie de tomber amoureux, je ne veux pas que tout ce que je bâtis soit détruit par quelques sourires provenant de la première belle fille venue.

J'ai toujours été très con avec les filles, croyant tomber amoureux d'espèces de folles dingues qui ne voyaient rien d'autre qu'un porte-monnaie ambulant en ma personne. Ou bien un faire valoir. Ou bien j'en sais rien. De toute façon, aucune histoire n'avait duré, la faute à qui, d'ailleurs ? A moi, très certainement, parce que je dois avouer qu'aucune fille, jusqu'à présent, n'a su me captiver. Toutes me paraissaient fades au bout de quelques jours, voire de quelques heures pour les plus insipides. Jamais une femme n'avait réussi à me maintenir en haleine, subjugué par son verbe plus d'un mois ou deux. Oui, à mon âge, j'aurais dû avoir déjà vécu une histoire longue, de celle qui laisse des cicatrices, qui forge le caractère, qui fait regretter d'être né, mais c'est loin d'être le cas. Je n'ai jamais été véritablement amoureux, jamais je n'ai ressenti cette faille de San Andreas au fond du ventre qui fait te dire que cette fille-là, elle te manque dès qu'elle sort de la pièce. Il faut dire que je suis indépendant, que j'ai un caractère de merde, du genre dur à cuire, mais pas macho, je l'ai déjà dit, plutôt du genre teigne que rien n'affecte.